« Ce n’est pas mon attirance à moi qu’il fallait interroger, mais la sienne. »
Vanessa Springora a attendu trois décennies avant d’écrire cet ouvrage consacré à sa relation avec l’écrivain Gabriel Matzneff, alors quinquagénaire, tandis qu’elle était âgée de quatorze ans. Le temps pour elle de la nécessaire distance intérieure pour affronter la figure nauséabonde de G., ainsi qu’elle le nomme dans son livre, afin non seulement de « prendre le chasseur à son propre piège, l’enfermer dans un livre », mais aussi d’être capable de mettre les mots sur la vulnérabilité de l’adolescente qu’elle était.
Le Consentement est ainsi l’ouvrage d’une femme disposant du recul suffisant lui permettant d’écrire avec maîtrise et sincérité sur ce qu’elle a subi. Le texte parvient, en effet, à nous livrer un témoignage armé d’une écriture à la fois précise et questionnante.
Précise : l’emprise dont elle a été victime se dégage nettement de ses mots s’essayant à retracer ce parcours « amoureux » avilissant et destructeur.
Questionnante : la difficulté à se reconnaître comme une victime, la torture intérieure que ce débat a engendrée : « comment admettre qu’on a été abusé, quand on ne peut nier avoir été consentant ? » Et, au bout du compte, l’image de soi qui tremble tellement que la capacité à faire confiance à nouveau à un homme et à s’y attacher semble impossible à atteindre.
Vanessa Springora ne cherche pas à étiqueter les coupables, mais à comprendre l’aveuglement et la complaisance de certains, ou encore l’abandon des autres oubliant son âge véritable.
À quatorze ans, on ne peut consentir, puisque notre conscience n’est pas suffisamment éclairée pour que ce terme acquière son véritable sens. Nouer une relation à quatorze ans avec un adulte qui en a cinquante, bénéficiant qui plus est de l’aura de l’écrivain, c’est être victime de l’emprise psychologique dudit adulte qui ne pense qu’à assouvir son propre désir, occultant en cela la nature de l’engagement de l’adolescent qu’il entraîne dans sa spirale et dont il utilise les failles à son profit : famille disloquée, père absent… « Le manque, le manque d’amour comme une soif qui boit tout, une soif de junkie qui ne regarde pas à la qualité du produit qu’on lui fournit et s’injecte sa dose létale avec la certitude de se faire du bien. Avec soulagement, reconnaissance et béatitude. »
À quatorze ans, on devrait être nommé « victime » et rien d’autre et susciter la protection des adultes.
Et si, à côté d’autres témoignages passés inaperçus, celui de Vanessa Springora, en raison de son exposition médiatique et de la justesse de ses analyses, peut permettre à d’aucuns de reconnaître enfin cela, alors ce livre demande à être lu.
Le Consentement
Vanessa SPRINGORA
Grasset, 2020
216 pages