2 min de lectureÀ l’horizon du trou noir

« Ces choses que nous partagions, […] elles demeurent, mais que deviendront-elles lorsque je serai parti, moi qui suis leur dépositaire, le seul à même de préserver leur mémoire ? »

« Mme Gray » : la mère de Billy, meilleur ami d’Alex Cleave, mais aussi la femme, la première, qui l’a initié à l’amour alors qu’il était encore adolescent. Alex, 15 ans ; Mme Gray, 35 : dans cet écart et dans l’interdit de cette relation, résonne l’ouverture d’un monde de gestes tendres et sensuels, le mystère de la donation sans retenue de cette femme à un jeune homme, la découverte de la proximité la plus intime de l’autre, l’éclosion d’un sentiment amoureux authentique et indélébile.

Alex sent désormais la vieillesse le talonner et, avec elle, les contours de son identité trembler. Il se retourne alors sur ce passé, tentant de retrouver l’empreinte intérieure de ces étreintes lointaines. Avec La Lumière des étoiles mortes, John Banville nous entraîne avec force dans le tunnel clair-obscur de la mémoire du cœur. Dans l’élégance du verbe de l’écrivain, dans la finesse de son style, c’est toute la gravité de l’échange amoureux qui est interrogée et, avec elle, le trouble écho de nos souvenirs.

Une capacité à ramener en cascade, pour chacun, ses propres images/scènes vécues ou recomposées. Première fois, étreintes bâclées, profondément infusées, évidentes, clandestines…

On cavale dans ses souvenirs, dans ses sensations désordonnées. Se demandant : « qu’a-t-on vécu ? » Ou, plutôt, « qu’en a-t-on retenu ? » Quel a été le jour le plus intense, l’heure la plus grave, la minute la plus précieuse ? Que nous dit de nous notre propre sensualité lorsqu’un autre parvient à la débrider ? Et de l’autre qui a le plus compté dans cet entrelacs des corps, des fluides, des mots doux ou sauvages glissés dans le creux de l’oreille ?

Qui est-on à l’arrivée sinon cette identité vacillante qui se cherche et se perd à travers d’authentiques souvenirs et le suc des images filtrées par notre esprit incertain de lui-même ? Quelle est la portée réelle de notre désir perpétuellement déchiré entre ses phases d’abattement et de renaissance éblouie ? Et comment notre capacité à aimer se (re)découpe-t-elle au sein de ces souffles plus ou moins exténuants et désaccordés traversant notre poitrine… ?

La lumière des étoiles mortes
John BANVILLE
Robert Laffont, coll. « Pavillons »
2014
Traduit de l’anglais (Irlande) par Michèle Albaret-Maatsch
360 pages

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