50 min de lectureDiscrétion, secret, oubli

Réflexion sur les rites funéraires contemporains

« Voyons, mais la Mort, elle est partout, mais on nous la cache, on essaye : happy end pour les innocents promis à la grande boucherie ! »

Michel de Ghelderode, Entretiens d’Ostende.

 

Une révolution s’est opérée au cours du XXe siècle, dans nos sociétés occidentales, où la mort, supplantée par la « maladie », échec de la vie et non indice de notre mortalité profonde, s’est vue peu à peu chassée du champ de notre conscience. Mus par les avancées techniques et médicales autorisant des conditions de vie globalement plus clémentes que celles de leurs prédécesseurs, nombre de nos congénères semblent se nourrir de l’illusion d’une dilution progressive du tragique constitutif de l’être humain. Comme si la mort était un accident ou défaut organique susceptible d’être évité et non la marque de notre finitude.
Il serait, certes, sans doute abusif de s’imaginer un moment où les hommes ont abordé leur mort sans sourciller. Michel Vovelle le souligne : l’image d’une mort achronique est davantage un mythe qu’une réalité, essentiellement liée à notre méconnaissance des temps les plus anciens [1]. À ce titre, peut-on dire, la mort a toujours été en crise. Il ne s’agit donc pas tant ici de déni qui a toujours existé sous une forme ou sous une autre. Ce qui est nouveau, c’est que l’on cherche à faire comme si la mort n’existait pas. Ce que diverses expressions employées aujourd’hui ne cessent de trahir : ainsi on ne parle pas de mort, mais de « fin de vie », on ne parle pas de mourant, mais de « malade terminal ». Il y a aussi des questions significatives : « de quoi est-il mort ? », ou encore « mais qu’est-ce qui s’est passé ? ». Comme si la mort ne pouvait être qu’accidentelle et qu’il y avait toujours un moyen d’y échapper. C’est la mort échec, la mort accident, dépossédée de son caractère inéluctable.

L’homme n’a jamais souffert avec plaisir et vécu sa déchéance sans tourments, mais à partir du moment où la souffrance n’a plus droit de cité et où la mort n’est qu’un hôte indécent, il ne comprend même plus ce qui lui arrive, comme l’enfant auquel on retire subitement son jouet. D’où l’étonnement et le désarroi exacerbés de nombreux individus confrontés à leur mort prochaine. Suivant la réflexion de Vladimir Jankélévitch, la mort ne peut sans doute manquer de trouver chacun dans un état d’impréparation [2]. Mais l’écart est de taille entre cette impréparation et la fuite entêtée de toute appréhension de son être mortel, convaincue qu’une telle pensée est la marque d’une disposition morbide. La plupart de nos congénères, non seulement ne veulent plus souffrir, mais surtout s’acharnent tellement à ignorer leur dimension d’absence que beaucoup ne semblent découvrir leur finitude que lorsqu’ils sont gravement malades. Comme l’écrit Marcel Conche en ce sens, « l’homme, aujourd’hui, n’est pas éduqué comme un être qui doit mourir. On lui apprend la vie, les occupations de la vie ; on ne lui apprend pas la mort [3] ».
Aussi, ce que nous soulignons ici, c’est bien une mise à l’écart de la mort dans l’existence individuelle et collective qui s’est radicalisée au fil du XXe siècle.

Au-delà de l’appréhension du mourant, reste à voir les attitudes envers le mort, car sur cette pente de l’oubli les rites post-mortem ont changé eux aussi. À partir du moment où l’enjeu est de masquer la mort, les pratiques funéraires en subissent immanquablement l’impact.
Comment se rapporte-t-on globalement à la mort lorsque celle-ci advient ? Suivant la courbe évolutive de cette volonté d’expulsion de la mort, propre à nos sociétés urbanisées et technicisées, Philippe Ariès a observé la constitution, si l’on peut dire, d’un épais voile d’invisibilité. Dès qu’un homme meurt, l’enjeu est d’éviter tout débordement au sein du paysage vivant, afin que cela passe autant que possible inaperçu. L’on a pu reconnaître ici l’influence du modèle américain des funérailles et de ses Funeral Homes qui, à partir des années 1960, ont peu à peu gagné l’Europe. Les Maisons Funéraires ou « Athanées » dont, comme le commente Gilles Ernst, le slogan peut se résumer ainsi : « Mourez, nous ferons le reste » [4], s’inscrivent pleinement dans cette économie de la mort dont les signes se doivent d’être les plus discrets possibles. À l’image du « A » privatif de « Athanée », le langage utilisé est particulièrement révélateur, selon les mots de G. Ernst, de cette « thanatologie périphérique » : le mort devient un « cher disparu », le cercueil est un coffret et l’incinération une « douce chaleur »… Le décor épouse le fil lisse des mots : à l’image du carrosse redevenu citrouille, le corbillard s’est alors mué en discrète limousine, les habits noirs ont été rangés au placard pour des tenues passe-partout et les enterrements sont globalement devenus de discrètes et rapides cérémonies. L’enjeu premier étant de vider la mort de son empreinte mortifère, on constate ainsi une nette transformation des rites funéraires, depuis le traitement du corps mort jusqu’à une réduction notable des pratiques publiques de deuil.

 

Destin du corps mort

Quel sort est réservé au corps du défunt dans un tel contexte ? Un premier trait particulièrement notable est ce que Louis-Vincent Thomas appelle la « poussée crématiste » [5]. Il relève par là, comme d’autres analystes à sa suite, une diminution nette de la pratique de l’inhumation au profit de la crémation [6]. Que traduit ce phénomène ? Selon l’anthropologue, le développement de l’incinération apparaît comme la solution la plus radicale pour faire disparaître les morts.
L’incinération est un processus permettant de passer outre la putréfaction, mais cette réduction en cendres des cadavres n’est pas, en tant que telle, l’indice d’un escamotage complet de la mort. À travers son analyse des rites mortuaires, L.-V. Thomas explicite que cette destruction expéditive du cadavre peut revêtir des significations très différentes. Sans rentrer dans le détail des rites traditionnels étudiés par l’auteur, marquant le contraste entre les différentes approches de la crémation, disons que ressort un point d’importance. Dans les sociétés traditionnelles, la crémation peut être appréhendée comme un rite qui, certes, esquive la putréfaction, mais n’en acquiert pas moins une symbolique forte. Le rite est à la fois « un sacrement qui achemine le mort à un statut d’éternité » et un procédé qui « laisse aux survivants des restes impérissables à honorer » [7]. Tout autre est la portée de la technique de l’incinération dans nos sociétés modernes qui n’a pas d’autre fin que « l’élimination de la pourriture ». L’incinération traditionnelle est au service du défunt ; dans son sens moderne, elle est d’abord au service des survivants. En ce sens, la forte augmentation de l’incinération « est avant tout une manière de préserver le confort mental, social et physique des survivants » [8]. Autrement dit, le recours à la destruction semble rentrer dans la quête de nombre de nos contemporains d’éluder au plus vite l’angoisse de la mort. Au point que, comme l’ajoute l’auteur, « on en vient parfois pratiquement à oublier les restes », l’enjeu étant désormais d’enlever à la mort toute trace malencontreuse. C’est dire que tout cela n’est pas imputable au seul recul de l’empreinte religieuse au sein de nos sociétés [9]. D’abord parce que ce recul est plus relatif qu’il n’en a l’air – beaucoup de nos congénères, sans être des « pratiquants », demandent une cérémonie religieuse avant de passer au crématorium, même si, nous le verrons, le déroulement des cérémonies ainsi que les motivations religieuses de celles-ci ont subi des changements significatifs… – ; ensuite parce que la visée semble avant tout de se ménager une zone purgée de troubles.
Au-delà des arguments fréquemment avancés, comme le gain de place (« laissons la terre aux vivants » est le credo des crématistes), la dimension hygiénique et le coût moindre que celui d’un enterrement classique, cette volonté de se débarrasser du cadavre ne rentre-t-elle pas dans cette tentative d’évacuation de la mort réelle ? Ce corps auquel on voue un culte de plus en plus manifeste, indice d’une vie saine et forte, l’on entend le maîtriser jusqu’au bout, répugnant ainsi à l’envisager dans son inéluctable version dégradée, amas de chair inerte et pourrissante. Réduit en une poignée de cendres, le cadavre ne suscite alors ni malaise ni angoisse. Nous retrouvons là, selon les mots de L.-V. Thomas, cette quête quasi exclusive de préservation du « confort mental » des survivants, dans une société noyée de psychologisation excessive, convaincue qu’épargner une détresse profonde est un enjeu majeur. À quand des « cellules psychologiques » à la sortie des funérariums ?

Plus de cadavre et si l’on tient à se recueillir auprès du défunt avant qu’il ne soit réduit en poudre propre, on a toutes les chances de l’apercevoir maquillé. Comme l’incinération, le traitement du cadavre n’a rien d’une pratique récente. La pratique de l’embaumement, destinée à retarder l’impact de la pourriture qui menace le cadavre et horrifie les vivants, remonte du fond des âges. Mais nous parlons ici d’une technique ne visant pas seulement à conserver l’intégrité corporelle du cadavre, mais aussi à montrer le mort sous les traits d’un « quasi vivant ». Dans cette optique, l’embaumement, selon les mots de Ph. Ariès, cherche donc « moins à conserver et à honorer le mort, qu’à maintenir quelque temps les apparences de la vie, pour protéger le vivant » [10]. En somme, on ne meurt plus vraiment, le mort est un « encore vivant » plongé dans un profond sommeil. Si bien que tous les morts ont l’air « apaisés », prêts pour un hypothétique voyage… Notons que les plus grands excès en la matière ont lieu dans les pays anglo-saxons [11] : mort disposé dans sa posture favorite, assis à son bureau, etc.

Tenue à distance à tous les bouts de la chaîne, la mort est rendue invisible et irréelle : effacement des signes de la mort, maquillage du cadavre pour en faire « un presque-vivant » [12]. Les thanatopracteurs veillent au bord de la tombe. Voilà ce que Ph. Ariès appelle la « mort inversée ». Expression du refus de la mort dans une société vouée à la technique, au confort et au bonheur : maquillage et simulation de la vie – extension continue de l’usage de l’incinération – pas de place laissée au mort au profit d’une expulsion rapide et discrète de la mémoire que l’expression creuse, sans cesse répétée par des milliers de sentinelles, « faire » son deuil, symbolise sans doute on ne peut mieux. Nous sommes ici très loin du travail du deuil, sur lequel ont insisté les psychiatres et les psychanalystes, pointant là le processus d’intériorisation, marche psychique immanquablement longue et douloureuse accomplie par l’individu, qui depuis le choc de la mort d’un être aimé déplace peu à peu celui-ci dans le lieu de la mémoire, mais d’un deuil qu’il s’agit d’expédier au plus vite sans montrer aux autres la tristesse susceptible de l’accabler.

 

Le deuil ostracisé

Cela nous conduit au second trait marquant de l’évolution des rites funéraires pour lesquels on constate un net recul des pratiques publiques de deuil. Voit-on encore fréquemment une maison se remplir de parents, d’amis ou de voisins la mine grave, présents pour une dernière visite ? Quant à imaginer des volets fermés ou un avis de deuil affiché à la porte, après la mort du proche, cela n’est même pas pensable. Sans compter tous ceux qui oublient la date de l’enterrement… Cela se produisait encore au début du siècle (environ, d’après Ph. Ariès, jusqu’à la guerre de 1914). Plus de temps de pause et rapidité du phénomène, en l’espace d’une génération, même si l’on peut retrouver des racines plus anciennes.

Certaines pratiques ont, certes, fait long feu en raison de l’urbanisation de nos sociétés – cortège mortuaire, rassemblement de la famille et des proches autour du mort. L’éloignement accru du mourant par rapport à son milieu d’origine, qui plus est, n’est pas étranger à la disparition de la représentation publique de la mort. Mais ce qui ressort avant tout, c’est un refus du deuil avec son cortège de larmes et de douleur. Les condoléances sont limitées, le deuil estompé. Mutation des rites qui dépasse le seul contexte de nos vies modernes pour répondre « à un besoin plus profond : le défunt, hier au centre du rite, s’est de nos jours effacé au profit des survivants qu’il faut absolument protéger contre la peine et l’inconfort en réglementant le jeu social des émotions » [13]. À partir du moment où la mort est bannie de la vie publique, le deuil se privatise et se camoufle.
Dès lors, les cérémonies prennent un tour nouveau. Celles-ci se déroulent d’abord le plus souvent en comité restreint, ne dépassant guère le cercle des plus proches parents. Ainsi, n’est-il pas rare aujourd’hui que l’on apprenne la mort d’une personne que l’on a connue après que les funérailles ont déjà eu lieu, et ce non par voie de faire-part mais plus simplement par le biais de la presse locale. Répugnance à prévenir les autres que l’on ne sent pas prêts à se mobiliser pour entourer sa douleur ? Peur d’exposer sa peine aux autres (ne pas « craquer ») ? Volonté de ne pas s’affronter à trop de mines désolées ? Les motifs peuvent sans doute être variables et s’entremêler. Quoiqu’il en soit, outre les cas de personnalités connues qui bénéficient encore d’une certaine ostentation, il est notable que le deuil a largement réduit son champ d’expression, celui-ci se concentrant essentiellement au sein de l’intimité familiale.

Qu’en est-il de la tournure des cérémonies elles-mêmes ? Premier point remarquable : la majorité de nos contemporains, sans être des pratiquants, demandent une cérémonie religieuse. Prenant le cas de la France, Michel Hanus estime que les funérailles dans un lieu de culte concernent environ 80 % des individus, tandis que le pourcentage des pratiquants est proche des 10 % [14]. Eu égard à la prise de distance de la conscience contemporaine vis-à-vis du religieux, pour beaucoup, l’effectuation des funérailles dans un lieu de culte ancré dans notre culture est sans doute assimilable à une pure pratique rituelle, à défaut de savoir inventer de nouvelles pratiques. En ce sens, peut-on considérer avec Patrick Baudry qu’« il s’agirait presque de bénéficier des avantages d’un endroit où il faut que cela puisse se passer, bien plus que de passer par un lieu en se confrontant aux élaborations qu’il obligeait » [15].
Qu’en est-il, pourtant, de la croyance religieuse susceptible de s’exprimer dans ce contexte ? Les religions traditionnelles accusent le coût d’une désaffection certaine : assistance régulière aux messes, codifications morales et images associées de possible sanction comme celles du Purgatoire et de l’Enfer… Si « Dieu est mort », selon le diagnostic nietzschéen, c’est d’abord, semble-t-il, en tant que système de référence central régissant la vie des hommes. Mais cela ne signifie pas que toute préoccupation de l’au-delà soit morte. Outre la dimension pragmatique, le choix majoritaire de nos contemporains de passer par l’église ou autre lieu de culte au moment de leur mort en constitue un indice non négligeable.
Comme le note L.-V. Thomas, même si le sentiment religieux accuse un net recul, le besoin de croire en une vie future, sous quelque forme que ce soit, ne se déracine pas facilement [16]. Il doit y avoir une raison d’être de l’être mortel, quelque chose au-delà, quelque chose qui reste ou qui se poursuit (depuis les années 80, on observe, notamment, en Occident une certaine mode de la croyance en la réincarnation [17])… Bon nombre de nos congénères que cela rassure malgré tout supposent alors un au-delà aux contours flous, sans oublier au passage les relents de parapsychologie qui s’entremêlent à tout cela. M. Hanus, fort du constat de ces tendances parapsychologiques contemporaines [18], cite la conclusion de Jean Delumeau issue de son enquête sur l’appréhension du Paradis. Il ressort la vision de celui-ci, non comme le lieu de la divinité, mais comme celui où nous retrouverons nos morts… Si l’on considère le business qui se développe autour de cette sphère du paranormal, le recours aux médiums et à leurs promesses de communication avec les morts semble attirer nombre de nos contemporains. La croyance religieuse, même si elle a globalement diminué, persiste donc avec de nouveaux habits : plus de vision de l’enfer, mais plutôt celle du paradis assimilé à « un endroit où on n’a plus de souci, et où nous retrouverons nos parents et amis » [19].

Qu’il soit animé d’une réelle foi religieuse, simplement nappé d’un vernis spirituel ou assimilable à une pure pratique rituelle, l’on a pu observer, en tout cas, au cours des dernières décennies, que le service funèbre religieux traditionnel a peu à peu cédé la place à une volonté de personnalisation des cérémonies. En soi, cela n’est guère surprenant : il n’y a pas de raison que le processus d’individualisation de nos sociétés s’arrête aux portes de la vie. À cet égard, les rites traditionnels sont perçus comme trop formels et anonymes. Dès lors, même lorsque les cérémonies se déroulent dans des lieux de culte traditionnels, celles-ci se dépouillent de leur ritualité classique. Exit le Requiem et l’absoute pour des funérailles requérant un plus large investissement des proches. L’on note ainsi une nette « psychologisation du deuil »  [20].
Cela traduit sans doute une volonté de réappropriation des funérailles : désir de la part des proches d’inventer des gestes personnalisés pour traduire leur peine et leur attachement au défunt. Mais qu’en est-il essentiellement de la tonalité des cérémonies ainsi conçues ? Que lire dans cette mort privatisée ? Que traduit-elle au plus profond, sinon une entreprise de répression et de camouflage du deuil ? Deuil que l’on « fait », que l’on « gère », contre deuil que l’on porte et que l’on intériorise. Les proches s’« engagent » dans la cérémonie elle-même : ils lisent des textes, font un choix de morceaux de musique, évoquent un certain nombre d’événements marquants de la vie du mort. Cela peut sans doute permettre de retisser l’histoire d’un individu et, avec elle, quelques fragments de l’histoire d’une famille. Mais, à l’image des proches qui, dans ce cadre, s’adressent fréquemment au mort comme s’il était encore là, ce type de célébrations à la gloire de la vie passée semble n’avoir de cesse de rappeler que la vie continue, non que la mort est advenue. Le rite funéraire, coupé de son caractère public et capturé par l’affairement des proches, paraît alors avant tout centré, non sur la reconnaissance du défunt, mais sur les survivants et la « gestion » de leur deuil, obéissant à ce titre au principe d’efficacité propre à nos sociétés modernes, « comme s’il s’agissait, selon les mots de Françoise Dastur, de colmater sans tarder la douloureuse brèche ainsi ouverte » [21]. En somme, comme le commente la philosophe, le deuil n’a plus rien d’une « manifestation sociale fondamentale », il semble se résoudre en « un travail psychologique de neutralisation de la mort »  [22].

Les cérémonies s’effectuent ainsi, non seulement en petit comité, mais adoptent aussi une mise en scène installant, pour ainsi dire, le défunt « hors-scène ». Le deuil s’est donc décentré si l’on peut dire, les rites funéraires étant, au fond, axés non sur le mort, mais sur les survivants. Forme de ritualité à l’image du mouvement de rejet social de la mort, révélant un monde déréglé parce qu’incapable d’intégrer ses morts. Dès lors, toute manifestation excessive d’émotion est jugée comme une anormalité morbide, même s’il semble, si l’on en croit M. Hanus, que depuis quelques années la nécessité d’exprimer les émotions douloureuses soit mieux comprise [23]. Il n’est cependant pas anodin que les endeuillés trouvent généralement à s’épancher au sein d’associations et non auprès de leur entourage direct. Aussi cherche-t-on, notamment, à épargner les enfants en les excluant fréquemment de la cérémonie ou en ne pleurant pas devant eux. « Le deuil n’est donc plus un temps nécessaire et dont la société impose le respect, il est devenu un état morbide qu’il faut soigner, abréger, effacer. » [24]

L’on pourrait sans doute objecter que les funérailles comportent toujours, peu ou prou, une visée de guérison des survivants. Celles-ci n’apparaissent-elles pas, en effet, le plus souvent, comme cette tentative de prolonger l’instant fatal, de tourner autour de la mort pour en atténuer l’impact ? Les rites funéraires se caractérisent essentiellement par un mélange de déni et de reconnaissance. Déni : la volonté de transcender l’angoisse de mort chez les survivants, la tentative de s’en protéger à travers les hommages rendus au défunt sont au cœur du rite. La portée religieuse des rituels, qui plus est, stimule la croyance en une survie : en guidant le défunt vers ce que l’on appelle souvent « sa dernière demeure », l’on consolide sa propre croyance en une ouverture sacrée. En ce sens, le rituel, même si sa fonction avouée se veut au service du mort, comporte toujours, selon les analyses de L.-V. Thomas, une visée inavouée. L’on peut discerner dans celle-ci une fonction de guérison susceptible d’adopter « de multiples visages : déculpabiliser, rassurer, réconforter, revitaliser » [25]. La peur de la mort et le désir de la tenir à distance ne sont pas étrangers aux gestes d’attentions dispensés au mort : toilette du mort, thanatopraxie, crémation, inhumation…, éloignent l’impureté du cadavre, menacé par la pourriture, du champ d’existence des survivants et permettent ainsi « de circonscrire la mort, de la piéger dans un lieu délimité, en marge de la vie » [26]. Lorsque les actes sont sous-tendus par une croyance religieuse, ils offrent un réconfort certain à ceux qui restent, grâce à l’appréhension d’une mort-passage.
Néanmoins, quelle que soit l’intention de ravir à la mort sa signification d’abolition totale de la vie, la cérémonie funéraire, en marquant un point d’arrêt d’un groupe social, un temps de recueillement et de méditation, est une façon de reconnaître que la mort a frappé irrémédiablement un être proche. Le rite funéraire, en attestant publiquement la perte de l’autre, donne ainsi au défunt son véritable statut [27]. Et c’est cela même qui autorise l’établissement du lien spirituel avec le disparu. Aussi, dès lors que l’enjeu est de « gérer » son deuil au plus vite, la confrontation avec la rupture ultime n’a guère lieu. Le rapport établi entre les vivants et les morts, permettant la progressive installation dans la mémoire des survivants, se voit profondément escamoté. L’important est donc de noter qu’avec le recul ou la simplification de telle ou telle pratique – pas de veillée funèbre, effacement du mort et dissolution du cadavre, privatisation du deuil débouchant sur des cérémonies centrées non sur le défunt, mais sur les survivants, pas de signe vestimentaire distinctif de l’endeuillé –, la mort d’un homme ne modifie plus en profondeur « l’espace et le temps d’un groupe social » [28]. Ne bénéficiant pas de l’attestation publique, claquemuré dans la sphère privée, le deuil perd son champ d’expression. Les stratégies d’évitement emplissent l’espace de la perte, réduisant celle-ci au seul enjeu de « guérison » qu’il s’agit d’accomplir sans tarder.

Puisque la mort doit être tenue à distance, les endeuillés sont sommés de reprendre une activité au plus vite, et sans mine déconfite qui plus est. L’important est de ne pas creuser sa douleur, de ne pas afficher sa peine. D’où l’incitation à reprendre son travail sans tarder, capable d’offrir un dérivatif à la tristesse. Nombre d’endeuillés disent combien ils se sentent, alors, isolés et incompris : la vie sociale demande à poursuivre sa marche sans interruption. La mort ne doit pas déborder du côté du paysage vivant. Afin de ne pas gêner, incommoder les autres, l’endeuillé se doit de comprimer sa tristesse et d’agir comme si rien ou presque ne s’était passé. Ne constate-t-il pas, d’ailleurs, bien souvent que ses « amis » évitent de le fréquenter pendant un certain temps, ce temps pendant lequel ils supposent qu’ils risquent de devoir faire face à une démonstration de tristesse et pour lequel ils se refusent, plus ou moins consciemment, à apporter quelque secours ?
Outre le sentiment d’abandon et de solitude accrue, les spécialistes, psychiatres et psychanalystes, voient se développer ce qu’ils nomment des « deuils pathologiques » : la tristesse et l’angoisse sans cesse refoulées ou dissimulées auprès du dehors peuvent, en effet, donner lieu à ce que F. Dastur nomme « une incorporation spectrale du défunt qui demeure alors comme un corps étranger continuant de hanter l’âme de l’endeuillé » [29]. Le défunt non intériorisé, reste à l’extérieur, tarde à vider les lieux. On laisse la chambre intacte, on vit comme si le mort était encore là, on conserve les cendres chez soi ou on les disperse dans la nature plutôt que d’aller déposer l’urne dans le cimetière. Déni du décès et non acceptation du réel, refus de la séparation physique, de l’abandon effectif réalisé par la mort d’un être cher. Une mort que l’on ne nomme jamais est-elle advenue ? Un deuil que l’on « gère », que l’on expédie, peut-il jamais être accompli ? Une fuite dans une guérison de façade crée de lourds dommages.

Il nous semble que l’on pourrait rapprocher l’appréhension du deuil de l’analyse du remords que fait V. Jankélévitch. Celui-ci rappelle l’importance de l’oubli, mais qui, pour cela, suppose que l’on se soit d’abord repenti. Si l’oubli sans le repentir est un remède, il s’agit d’un remède « paresseux, trompeur et superficiel », qui « cache la maladie au lieu de la guérir » [30] − l’oubli guérit de la douleur mais pas de la faute commise. Ceux, au contraire, qui n’ont pas reculé devant « l’opération douloureuse du repentir » [31] pourront oublier ensuite efficacement. Ainsi, « autant l’oubli est périlleux avant la crise résolue, autant il est indispensable après » [32], permettant alors l’expulsion de la douleur, devenue inutile. « Il faut savoir liquider : la santé du corps et de l’âme est à ce prix. » [33] V. Jankélévitch cite Pierre Janet qui expliquait que « la conduite de la terminaison » est une conduite vitale et que l’esprit bien portant se reconnaît à son pouvoir de « tourner la page », d’en finir avec la douleur, le repentir, avec le deuil ou les regrets interminables. « Nous ne sommes point ici-bas taillés pour l’éternel, et lorsqu’un sentiment s’attarde outre mesure il prend la place des autres, il nous confine dans un rabâchage morne et indéfini. » [34] Chacun le sait, le ressassement est mauvais, il importe de savoir passer à autre chose. « L’oubli nous rend, pour ainsi dire la force de conclure. » [35] L’oubli est alors négation active et non pas seulement déficit. Freud a, lui aussi, souligné le rôle de l’oubli comme régulation de la vie mentale. L’oubli est la condition de la mémoire, d’une fraîcheur de l’esprit. Se cramponner à des souvenirs inoubliables, c’est demeurer prisonnier de ses vieilleries. À côté du mélancolique tel que décrit par Freud qui se laisse dévorer par le mort, parce qu’incapable de lui constituer sa place, il y a toute la place pour un deuil véritable. De même que celui qui ne s’est pas repenti ouvre la voie au malaise de l’oubli prématuré, celui qui évite le deuil de la perte d’un proche prépare le terrain d’une mémoire infectée de cette épreuve bâclée. Pour accéder à cet oubli-là, capable de tisser la mémoire, il faut s’être confronté à la perte, au temps morne et blessant. La terminaison s’apprend et se tisse. Ce qui ne peut se faire en laissant les choses en plan, la situation de notre vie inachevée. La mémoire du disparu ne se constituera qu’après cette essentielle vacillation, sinon elle n’aura pas lieu. Elle sera entravée par cette mort laissée en friche, mise en travers de la mémoire.

Quoi qu’il en soit, le constat semble s’imposer : la mort d’un homme se camoufle et s’inscrit dans la gestion d’un temps tout à la fois barbouillé de jeunisme, de rentabilité et de « bonheur » de façade. D’un temps sans temps mort. L’on observe, ainsi, une sorte de consensus pour repousser l’image réelle de la mort, la tenir la plus éloignée possible des parages de la vie. Mort à l’hôpital – Corps transporté à la maison des morts où les thanatopracteurs entrent en scène pour donner à la mort le visage du sommeil – Pratiques publiques du deuil des plus réduites, entre cérémonies en petit comité et passage rapide et discret du convoi funéraire, achevant d’appliquer une couche étanche entre la société et la mort d’un de ses membres. « La vie continue », glisse-t-on bien vite dans les allées du cimetière ou du colombarium. Autant d’exemples traduisant l’absence patente de conscience de la finitude contemporaine.

Tous ces signes révèlent clairement combien, comme le relève Denis Cettour [36], nous sommes dans une culture de l’anti-perte. Perte de vitesse du sentiment de la mort pour la promotion d’une culture de l’émergence contre celle de la chute : bonne santé, bonnes herbes, etc. Nouvelle religion que celle de l’émergence, alimentant le discours envahissant de la conservation et faisant les beaux jours des pharmacies. Cioran écrit en ce sens : « C’est cela, justement, escamoter la présence de la mort, pour la voiler et la masquer. C’est pour cela que l’homme occidental, l’homme civilisé, se sent mal, se précipite chez le médecin, le pharmacien. » [37] Oubli de la condition de mortel relayé en permanence par les discours et les pratiques. La mort étant confiée à des spécialistes à tous les bouts de la chaîne – personnels de soin, thanatopracteurs… –, on aboutit notamment à ceci que beaucoup n’ont jamais vu ni un animal, ni un être humain mort [38]. Combien n’ont jamais « fréquenté » de cadavre, retiré qu’il est de la vue au plus vite ? Pourtant la mort, c’est d’abord la présence du cadavre qui menace de se décomposer. C’est ainsi qu’elle peut nous apparaître comme phénomène et que nous pouvons en prendre conscience. Notre première perception est d’ordre biologique. Sans cadavre, pas de mort.

L’on pourra peut-être nous objecter que la mort est pourtant très présente dans nos quotidiens par les relais médiatiques. Mais lorsque l’on nous montre la mort – presse à sensation et médias audiovisuels – c’est sous un jour soit lointain et anonyme, soit spectaculaire. Il ne s’agit pas de la mort quotidienne, ordinaire ; la mort et le deuil sont mis en scène sciemment façon grand spectacle. Or une mort spectaculaire me concerne-t-elle ? Modèles culturels qui ne marquent pas le quotidien des gens. Par ailleurs, l’on peut se demander avec Norbert Fischer si le feuilleton documentaire montrant les derniers jours d’un mourant, confrontant les téléspectateurs à des sujets réels, a réellement plus d’impact. Il y a, certes, la tentative de dépasser le cadre aseptisé de nos sociétés, mais reste malgré tout l’écran entre le mourant et l’observateur, qui aide le spectateur à garder une certaine distance. « La représentation par les médias, quel que soit le mode de narration choisi, est plus facile à accepter que la situation concrète, la proximité réelle avec la personne qui vit ses derniers instants. » [39] La médiatisation, quelle que soit la qualité de l’approche, ne peut se substituer à une réelle confrontation avec la mort. La médiation de l’écran, en raison du monde aplati et miniaturisé qu’elle nous présente, ne peut abolir, selon les analyses de Jean-Jacques Wunenburger, « la contrainte du principe de réalité » [40].

L’intérêt pour notre être mortel et la place que notre culture est disposée à lui assigner ne peut être spectaculaire. Certes, depuis une trentaine d’années on parle davantage de la mort – ouvrages, émissions de télévision, colloques. Ceci en raison à la fois de morts qui ont su frapper les esprits – le Sida a notamment ramené dans les consciences l’image d’une mort fatale, qui, pour être largement moins mortelle que d’autres maladies comme le cancer, a brisé quelque peu les fantasmes d’aucuns d’une médecine toute puissante –, mais aussi de questions qui viennent inquiéter les consciences – conditions d’existence des mourants (acharnement thérapeutique, soins palliatifs, euthanasie), statut accordé à nos morts à travers la ritualité funéraire. À cet égard, la mort a su s’extraire du refoulement qui l’a longuement frappée. Néanmoins, ce regain d’intérêt concerne avant tout les milieux plutôt restreints s’intéressant aux sciences humaines. La société, quant à elle, ne donne guère de signes de changements profonds des mentalités. La mort reste cet hôte que l’on ghettoïse volontiers, comme si se préoccuper de son être mortel avait quelque chose d’incongru et de morbide.

L’Occident manque cruellement d’un authentique sentiment de la mort. D’où, en retour, dès lors que celle-ci semble roder résolument dans les parages, une médiocre valeur accordée à la vie, à la qualité de l’existence. Combien de vieillards abandonnés à leur misère, traités comme des poids, parfois maltraités ou laissés sans soins ?
Dès lors que l’image du senior dynamique n’est plus opérante et qu’un individu appartient résolument à la catégorie du vieillard, avec la perte d’autonomie et de facultés que ce grand âge implique, quel sort lui est-il globalement réservé ? Les constats sont plutôt alarmants. Il y a ceux que l’on frappe, que l’on gave (lèvres fendues et dents cassées peuvent en témoigner) ou que l’on nourrit à peine. Il y a encore tous ceux qui n’étaient pas incontinents à leur arrivée en maison de retraite, mais que l’on rend bien vite tels en leur mettant des couches d’office et que l’on n’hésite pas à laisser baigner des heures dans leurs excréments. Il y a aussi le mépris de toute intimité : administration de douches collectives, personnes abandonnées à leur nudité et qu’il ne paraît pas si urgent que cela de revêtir. Le ton se fait volontiers infantilisant ou méprisant, achevant ainsi de retirer toute dignité à des êtres qui ont le seul défaut d’avoir vieilli. Entre maltraitances manifestes et insidieuses négligences, éclot la condition que l’on réserve à nombre de personnes âgées abandonnées à une vieillesse humiliante, bouffie de peurs et d’humiliations [41].
Pris dans l’optique fonctionnelle de nos sociétés, le vieillard n’est plus guère que l’encombrant. N’entend-on pas souvent : « je ne sers plus à rien, je vous gêne », dans l’attente d’un démenti de l’entourage qui ne vient pas toujours ? Et quand bien même, tout lui parle de « fonctionnel », si son statut de « transmetteur » lui est ôté. Les critères de marchandise, de fonctionnalité, de rendement ne s’arrêtent pas à la vie économique, au travail. Ils ont gagné du terrain, infectant les raisonnements, gangrenant les pratiques, fendillant les mémoires. Le vieillard gagnait précisément son statut du fait qu’il était sorti du circuit de la fonctionnalité. Cela lui laissait le temps dédié à la transmission, au récit, à la prise de recul, au tissage des générations. Le vieillard n’est plus guère un conteur ou ce pôle potentiel de sagesse qui peut éclairer ou stimuler les suivants. Il est avant tout désormais le pensionnaire d’une institution qui coûte cher à la société.

Tel est le sentier contemporain du bonheur, convaincu qu’il est que la présence de la mort est incompatible avec le plaisir ou, plus largement, l’appréhension d’une vie heureuse, et disposé, en cela, à nourrir sa marche d’une méconnaissance du hasard et de la précarité de notre être-au-monde.
La tendance générale est, certes, à l’accroissement de la longévité. Notre médecine savante, relayée par un équipement technique performant, autorise un allongement significatif de la durée moyenne de la vie. Cela est indéniable et autorise pour bon nombre d’entre nous une réelle qualité de vie. Dès lors, nous attendons logiquement plus de la vie que les générations antécédentes. Mais il reste que, comme le reconnaît Roland Quilliot, cela se fait aussi « dans des conditions qui parfois ne donnent guère envie de vieillir (délabrement mental, maladies d’Alzheimer, solitude) » [42]. À côté des seniors dynamiques, au visage décapé par les crèmes antirides, il y a une réalité souvent beaucoup moins réjouissante. Outre le risque de développer des maladies particulièrement avilissantes, comme la démence de type Alzheimer, qui ne peut manquer de nous mettre à la question – à force de pousser la machine humaine, ne court-on pas vers de cruelles implosions ? [43] –, il y a également la solitude accrue de nombre de personnes âgées dans leur domicile ou dans les hospices-mouroirs… Si l’on considère, par ailleurs, la façon dont nos vieux sont globalement traités dans les institutions qui leur sont réservées, la réalité n’en est que plus sordide.
Dans la ligne d’éradication de la mort, il y a donc un autre aspect à considérer. La question importante et délicate de l’euthanasie ne doit pas masquer « la vraie question : quelles conditions de vie, quelle liberté de choix, pour la meilleure qualité de vie jusqu’au bout, dans le respect de la singularité de chacun » [44]. À quel prix donc la prolongation et quel sort entendons-nous réserver aux grands « prolongés » ?

Comme le laissait entendre Nietzsche, la vie n’est pas « réfutée » par la présence du malade, du vieillard ou du cadavre [45]. Elle ne l’est que pour ceux qui s’évertuent à ne voir qu’une des faces de l’existence, qui ne vivent sans pause que pour se fuir et s’oublier eux-mêmes [46]. Voilà, derrière le divertissement ambiant, les vrais prédicateurs de mort. Il faudrait être conséquent : ces personnes âgées que nous aspirons à devenir, mais que nous ne voulons voir dès lors que leur image tremble trop, et que nous « parquons » dans des asiles ou des hôpitaux, peut-on encore leur refuser une mort digne et les laisser baigner dans cette agonie de leur « mort asilaire » sous prétexte d’occulter la mort ? L’homme, obnubilé par l’obtention d’un bonheur sans histoire, creuse ainsi d’obscènes tombes. En récusant sa propre mort et, en conséquence, la source dont il jaillit, c’est aussi une mort digne qu’il est susceptible de refuser à son entourage. Tout se tient : on ne peut être attentif à la blessure ou à la détresse de l’autre que si l’on est descendu en soi-même, si l’on a sondé sa déchirure et entendu son propre Cri. Comment, à partir de là, ne pas rappeler que sans une once de gravité l’homme n’est qu’un pantin ou, pour reprendre les termes nietzschéens, un avorton ?
La société du bien-être et sa propension à se satisfaire de son apathie frivole, dépourvue de tout accent tragique, ne coïncide-t-elle pas trop souvent avec un abrutissement des esprits des plus dommageables ? Individualisme creux, hédonisme mou et somnolent, fuite excessive devant la décrépitude et la mort.

L’utopie négative qu’offre Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley est-elle si éloignée que cela de ces parages ? John, le « sauvage » élevé dans une réserve primitive, s’est heurté de plein fouet à cette société qui, rappelons-le, procède non seulement à une division en sous-groupes strictement délimités [47], en vue d’un rendement optimal, mais qui, aussi, met en œuvre une harmonie factice. Méthodes hypnopédiques permettant de conditionner les comportements de chacun et, surtout, usage du soma, drogue euphorisante aux fondements de la société lisse, vide et « harmonieuse » que, dès 1932, A. Huxley imagine : « le monde infiniment bienveillant du congé par le soma. Comme tout le monde était bon, et beau, et délicieusement amusant ! » [48] Tout fonctionne au mieux ; chacun, bercé par sa camisole chimique, est content de son sort. Manque de sentiments profonds, perte de l’individualité, valeurs insipides, rejet de l’intelligence. Telles sont les clés du « bonheur » de cette société sans grincements et sans angoisse, bercée par la « sereine ignorance » du soma  [49].
Sorti de sa réserve, John ne tarde pas à réaliser l’aliénation collective de ce monde, la pauvreté et la superficialité des relations humaines (il s’agit d’avoir des relations sexuelles et rien d’autre, afin de garantir les populations de toute tension émotive, destructrice ou créatrice). Tout ce qui peut faire grincer la machine, inaugurer une véritable réflexion n’a pas lieu d’être, puisque cela ne peut se faire sans malaise et vacillation. Écart qui trouvera son point culminant dans l’hôpital où se meurt la mère de John. Là, circulent des bataillons d’enfants que l’on a convaincus que la mort n’était rien [50]. Dans cette ambiance insouciante et bruyante, les larmes de John dérangent. Larmes devant cette femme conditionnée, larmes de perdre sa mère. La dernière aiguille à l’horloge mortelle a été arrachée par le silence de l’échange éteint. Dans l’hôpital aseptisé, il rappelle que la mort est là et que le « Sauvage » n’est pas celui que l’on croit. Sa détresse déchire le voile cotonneux de cette ambiance superficielle, rappelant que l’humain dans l’homme se situe au-delà du soma qui dispense l’euphorie pour assurer la stabilité à la société et le « bonheur » à l’individu. Le monde harmonieux et décérébré suscite un terrible malaise chez le lecteur attentif et chez le Sauvage qui finira, d’ailleurs, par se suicider. Tout cela reste sans doute assez loin de nos périmètres d’existence, mais pas si loin que cela en a l’air. A. Huxley a écrit cet ouvrage animé par la crainte de la réalisation des utopies, d’un monde normé et lisse dépourvu de tout espace de création. Et Mustapha Meunier, le grand administrateur de l’Europe occidentale, a certes fait son choix, − ne pas laisser les hommes se figurer « que le but de la vie n’est pas le maintien du bien-être, mais quelque renforcement, quelque raffinement de la conscience, quelque accroissement de savoir… », mais, au contraire, entretenir chez eux « la foi dans le bonheur comme Souverain Bien » [51]. Il n’en reste pas moins, cependant, un homme de réflexion qui ne peut qu’envier Bernard Marx et Helmotz Watson lorsqu’il les envoie dans une île destinée aux individus à la personnalité trop affirmée pour se fondre dans l’orthodoxie ambiante, parce qu’il sait qu’ils pourront à nouveau réfléchir, se cultiver, voire être mal dans leur peau [52]. Au moment où il interdit la publication d’un ouvrage de réflexion qu’il estime ingénieux, susceptible par conséquent de briser l’appréhension de ce faux bonheur, programmé comme le souverain bien, chez les esprits les moins solidement formatés parmi les castes supérieures, il lâche ces mots : « Comme ce serait amusant, musa-t-il, si l’on n’était pas obligé de songer au bonheur ! » [53] Ce malaise résonne comme un avertissement de taille, car que met-il en évidence sinon que la liberté a un prix, qu’elle signifie la renonciation à la sécurité assurée, au bonheur automatique, et que l’on accepte l’inquiétude comme le lot indépassable de l’être humain ?

Si nos congénères se trouvaient véritablement « heureux » de la poursuite d’un tel mirage du bonheur, armé de sécurité et d’irresponsabilité, il serait absurde et cruel de vouloir mettre en évidence le caractère fallacieux de ces croyances. Mais cela est loin d’être le cas. La mort éludée à tout prix conduit à cet attachement à de faux biens, à la course de désir en désir, à l’espérance perpétuelle de nouvelles jouissances, où le pire envisagé est de ne plus désirer et jouir. Et si la dépression occupe un si large terrain, n’est-ce pas qu’au fond ils ne peuvent croire à ce qui n’existe pas et n’adhèrent pas vraiment aux discours dont pourtant ils s’abreuvent ?
Si, donc, cette entreprise de « nettoyage » aidait l’homme à vivre sa condition et ne comportait pas de cruelles conséquences, telles que l’aggravation des traumatismes liés à la perte d’un être cher ou la relégation de nombreux vieillards au rang de déchet, il n’y aurait rien à redire, mais il paraît clair que c’est tout l’inverse qui se produit. En fait, il semble patent que cette mise à l’écart de la douleur et de la mort ne peut qu’accroître le désarroi des individus. Cette tentative d’évacuation de la mort, cette incapacité à lui constituer une place, à l’image des cendres que l’on préfère disperser dans des espaces indéterminés plutôt que de les déposer dans des lieux dédiés à la représentation de la place du mort, fait qu’elle rôde d’autant plus malgré les apparences. La réalité s’impose alors à l’individu avec une brutalité accrue. D’où son désarroi exacerbé. Il y a du mal de vivre derrière tout cela, mais qui fait tout pour s’ignorer.
Nous retrouvons cette propension humaine épinglée par Clément Rosset consistant à ignorer l’impérieuse prérogative du réel, se figurant de manière quasi schizophrénique que l’on peut séparer l’existence comprise dans son ensemble des choses existantes plus ou moins désagréables qui la constituent. On a beau ne jamais « fréquenter » de cadavre, faire disparaître de sa vue le cercueil pour une pause « vivante » du défunt, celui-ci n’en est pas moins mort. Et si la dépression est le sacré moderne [54], n’est-ce pas un rappel, encore une fois, que le réel occulté rattrape toujours le fuyard ?

Ôter à la mort tout aiguillon, c’est se raconter une histoire qui ne tient guère le coup sans médication anesthésiante. Tous les carnavals ne peuvent manquer d’être grimaçants à leurs heures comme le relevait le « Compère-la-mort » [55] James Ensor, auteur de la toile Les Masques et la mort  [56]. Masques inquiétants, au sourire parfois terrifiant, squelettes grimaçants, foules oppressantes, tourbillon carnavalesque, poursuivis par la faux de la mort. À l’image des masques d’Ensor, la peste et le symbole privilégié qu’elle offre de la présence de la mort dans la vie, est là et renaît toujours sous des visages diversifiés – syphilis, tuberculose, cancer, sida… Au-delà de la dimension d’épidémie ou de mort fatale qui fauche en nombre et frappe les consciences, la mort ne manque pas de rappeler aux vivants qu’elle vient les happer, les travailler au corps. Les danses macabres le montraient : la mort saisissant le vif se révèle demandeuse envers les vivants. Et cette demande ne peut être ignorée impunément.

C’est dire qu’à l’encontre de la visée du bonheur érigée en discours officiel, nourri de l’éradication de la souffrance et de la mort, d’autres priorités peuvent être reconnues sans pour autant que s’y glisse un quelconque masochisme. Et si le bonheur n’est pas la priorité, est refusé comme but de la vie, c’est précisément que celle-ci doit être reconnue dans son étrangeté et sa part chaotique. Ce qui implique que l’on reconduise la distinction entre vivre et exister. Par rapport à la vie, cheminement d’un être de la naissance à la mort, l’existence suppose une aventure, le choix de soi dans l’existence avec l’inquiétude que cela suppose. « À un bonheur sans histoire, ne faut-il pas préférer une histoire sans bonheur mais pleine de rebondissements ? Rien de pire en l’occurrence que ces gens éternellement gais, en toutes circonstances, qui ont accroché une grimace radieuse à leur face comme s’ils purgeaient une condamnation à vie à l’allégresse. » [57] La véritable allégresse n’ignore pas les abîmes. De plus, si le bonheur est un terme dangereux tout autant qu’illusoire, cela n’hypothèque nullement l’existence de moments de grâce et de joyeux transports. L’on peut avec Pascal Bruckner inviter plutôt à se moquer du bonheur qui n’est, reconnaît-il, qu’« une valeur secondaire », une annexe de la liberté et certainement pas le but de l’existence. Comme l’exprime l’auteur, et n’en déplaise aux fossoyeurs de toute mélancolie, il n’est pas vrai que nous recherchions tous le bonheur. Il paraît alors important de rappeler qu’« au bonheur proprement dit, on peut préférer le plaisir comme une brève extase volée au cours des choses, la gaieté, cette ivresse légère qui accompagne le déploiement de la vie, et surtout la joie qui suppose surprise et élévation » [58].

 


[1] M. Vovelle, « La peur de la mort a-t-elle une histoire ? », dans La mort à vivre, Paris, Autrement, série « Mutations », n°87, février 1987, p. 14.

[2] L’existence humaine est creusée par le temps mortifère, établissant pour elle un rendez-vous obligé, mais rien n’est dit sur les termes de ce rendez-vous final. Certitude incertaine qui scelle notre état d’impréparation. Cf. notamment V. Jankélévitch, Quelque part dans l’inachevé (Entretiens avec Béatrice Berlowitz), Paris, Nrf/Gallimard, 1978, XIX : « Mourir ne s’apprend pas ».

[3] M. Conche, Le fondement de la morale, Paris, PUF, coll. « Perspectives critiques », 1993, p. 106.

[4] G. Ernst, « La mort selon Jankélévitch dans la pensée contemporaine sur la mort », Colloque Vladimir Jankélévitch – Actuel Inactuel (16-17 décembre 2005), organisé par Jean-Marc Rouvière (Association V. Jankélévitch), Françoise Schwab (historienne), et Frédéric Worms (Univ. Lille III, CIEPFC, ENS) : http://www.diffusion.ens.fr/index.php?res=cycles&idcycle=240

[5] L.-V. Thomas, La mort, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1988, p. 104.

[6] En 2014, ce mode de sépulture a concerné environ 34 % de la population française, tandis qu’il n’était que de 0,4 % en 1975. La France se situe à mi-chemin entre les pays méditerranéens où la crémation est de moins de 10 % et les pays nordiques et anglo-saxons, pour lesquels la crémation dépasse globalement 50 %. De manière générale, dans les grandes agglomérations urbaines occidentales, celle-ci concerne environ 50 % de la population.

[7] L.-V. Thomas, Le cadavre. De la biologie à l’anthropologie, Bruxelles, Éditions Complexe, coll. « De la science », 1980, p. 176.

[8] Ibid.

[9] Les trois grandes religions monothéistes – chrétienne, juive, musulmane – prônent traditionnellement le respect de l’intégrité du corps du défunt. La pratique de la crémation est alors, soit rigoureusement interdite (Islam), soit admise avec plus ou moins de réticence. Le protestantisme l’a autorisée dès sa légalisation en 1889 ; le catholicisme, quant à lui, tout en privilégiant toujours l’inhumation, a levé l’interdit en 1963 ; le judaïsme, enfin, reste largement opposé à cette pratique, même si certains rabbins libéraux acceptent de célébrer les funérailles de fidèles souhaitant la crémation. En ce cas, comme dans le cadre du catholicisme, la cérémonie a lieu avant la crémation.

[10] Ph. Ariès, L’homme devant la mort, 2, Paris, Seuil, coll. « Points », 1977, p. 309-310.

[11] La série contemporaine Six Feet Under est à cet égard particulièrement intéressante. Série créée par le scénariste Alan Ball en 2001, comportant cinq saisons (2001-2005).

[12] Ph. Ariès, L’homme devant la mort, 2, op. cit., p. 309.

[13] L.-V. Thomas, La mort, op. cit., p. 102-103.

[14] M. Hanus, « Éditorial », dans Études sur la mort, n°125, 2004/1, p. 5.

[15] P. Baudry, « Travail du deuil, travail de deuil », dans Études, tome 399, 2003/11, p. 479.

[16] L.-V. Thomas, La mort, op. cit., p. 113.

[17] À noter que, contrairement aux bouddhistes et aux hindous dont le souhait est de parvenir à échapper aux réincarnations successives, les Occidentaux y croient dans la perspective de pouvoir encore bénéficier d’une existence terrestre. La « réincarnation » occidentale apparaît, ainsi, avant tout comme l’espoir d’une prolongation de soi.

[18] M. Hanus, « La mort aujourd’hui », dans Études sur la mort, n°125, 2004/1, p. 48-49.

[19] Ph. Ariès, L’homme devant la mort, 2, op. cit., p. 286.

[20] F. Dastur, Comment affronter la mort ?, Paris, Bayard, 2005, p. 20.

[21] Ibid., p. 22.

[22] Ibid., p. 21.

[23] M. Hanus, « Évolution du deuil et des pratiques funéraires », dans Études sur la mort, n°121, 2002/121, p. 71.

[24] Ph. Ariès, Essais sur l’histoire de la mort en Occident, Paris, Seuil, coll. « Points/Histoire », 1975, p. 70.

[25] L.-V. Thomas, La mort, op. cit., p. 92.

[26] Ibid., p. 93.

[27] Le mot « défunt », issu du latin defunctus, désigne celui qui a accompli sa vie, en a fini avec elle et, en conséquence, le « mort ». Defuns 1243 ; lat. defunctus, p. p. de defungi « accomplir sa vie » (Dictionnaire Le Robert).

[28] Ph. Ariès, L’homme devant la mort, 2, op. cit., p. 269.

[29] F. Dastur, Comment affronter la mort ?, op. cit., p. 23-24.

[30] V. Jankélévitch, La mauvaise conscience, Paris, Alcan, 1933, p. 133.

[31] Ibid.

[32] Ibid.

[33] Ibid.

[34] Ibid.

[35] Ibid., p. 134.

[36] D. Cettour, « Deuil et perte », Conférence prononcée dans le cadre de la Journée d’étude, La mort, destin du corps, Université Jean Moulin-Lyon 3, 6 avril 2006.

[37] E. Cioran, Entretien avec Luis Jorge Jalfen, Entretiens, Paris, Gallimard, coll. « Arcades », 1995, p. 101.

[38] Pr. J.-L. Touraine, « La politique de la cité moderne concernant le corps mort », Conférence prononcée dans le cadre de la Journée d’étude, La mort, destin du corps, idem.

[39] N. Fischer, « La mort dans les médias », Entretien avec Annika Bunse, 20 janvier 2006.

[40] J.-J. Wunenburger, L’homme à l’âge de la télévision, Paris, PUF, coll. « Intervention philosophique », 2000, p. 153.

[41] Dans son ouvrage, On tue les vieux (Paris, Fayard, 2006), le Pr Jacques Soubeyrand a, en particulier, cherché à alerter les consciences sur la maltraitance qui frappe trop souvent nos anciens, n’hésitant pas à parler de « génocide silencieux ».

[42] R. Quilliot, Qu’est-ce que la mort ?, Paris, Armand Colin/HER, 2000, p. 226.

[43] Les altérations cérébrales du vieillissement apparaissent nettement à travers une maladie neurodégénérative comme Alzheimer. Sans être, en tant que telle, une maladie dite du vieillissement, celle-ci en intègre tous les signes, dans la mesure où sa prévalence croît avec l’âge. 5 à 7 % entre 65 et 79 ans ; 20 % chez les plus de 80 ans ; 32 % chez les plus de 90 ans. La maladie touchait, en 2007, 860 000 français. 600 000 personnes de plus de 75 ans sont atteintes et l’on dénombre près de 200 000 nouveaux cas par an. À travers le monde, plus de 20 millions de patients seraient actuellement atteints.

[44] C. Baschet et J. Bataille, « Éditorial », dans La mort à vivre, Paris, Autrement, série « Mutations », n°87, février 1987, p. 10.

[45] F. Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, trad. M. de Gandillac, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 1971, première partie, « Des prêcheurs de mort », p. 61.

[46] Ibid., p. 62.

[47] On trouve les Alphas, les Bétas, les Gammas, les Deltas et les Epsilons. Les Alphas sont dotés du meilleur physique et ont les tâches intellectuelles, alors que les Epsilons s’occupent de travaux jugés dégradants et ont un physique peu avantageux.

[48] A. Huxley, Le meilleur des mondes, Paris, Plon, coll. « Pocket », 1989, p. 97.

[49] Voir en particulier le passage suivant : « Les gens sont heureux ; ils obtiennent ce qu’ils veulent, et ils ne veulent jamais ce qu’ils ne peuvent obtenir. Ils sont à l’aise ; ils sont en sécurité […] La liberté ! » (Ibid., p. 244).

[50] Ibid., p. 186.

[51] Ibid., p. 200.

[52] Ibid., p. 251.

[53] Ibid., p. 200.

[54] J. Kristeva, « Les abîmes de l’âme », Entretien avec Dominique-Antoine Grisoni, dans Magazine Littéraire, « Les écrivains et la mélancolie. Mal de vivre, spleen et dépression », Hors-série n°8, octobre – novembre 2005, p. 28.

[55] Surnom donné au peintre par ses compatriotes d’Ostende.

[56] Toile réalisée en 1897.

[57] P. Bruckner, L’euphorie perpétuelle : essai sur le devoir du bonheur, Paris, Grasset et Fasquelle, 2000, p. 182.

[58] Ibid., p. 271.

 

Article principalement issu d’une analyse, effectuée dans le cadre de ma thèse sur le tragique, du rapport à la mort propre au monde contemporain de nos sociétés occidentales, qui s’est ouvert essentiellement à partir de la seconde moitié du XXe siècle. Ceci dans la mesure où notre époque apparaît comme dominée par un escamotage profond de la mort, emblématique d’une occultation forcenée du tragique.

 

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