3 min de lectureLe « parfum funèbre » des lauriers-roses

« Le deuil devrait se porter comme une civilisation, celle de toutes les mémoires de la mort décrétée par les hommes. »

M. Duras

Stéphane Patrice, Marguerite Duras et l'histoire Selon une visée politique et philosophique, Stéphane Patrice renoue le lien entre littérature et Histoire, réinscrit l’écriture de Duras dans le sillon sanglant de notre XXe siècle, s’attardant sur des œuvres marquantes telles qu’Un Barrage contre le Pacifique ou encore Le Vice-consul. Est ressaisie, depuis la terre d’Indochine et les lauriers-roses de l’Inde, l’exposition des deux cadences du monde. Émergent les déclassés, les opprimés : les petits colons spoliés par une administration corrompue, les cadavres d’enfants dont l’écho s’élève sur les terres dérobées aux indigènes. La mort circule à travers le rire tenace de la mendiante folle et l’agonie des lépreux. L’enlisement guette, attend l’heure de son installation définitive. S’insinuant dans tous les pores de l’humanité, la maladie de la mort est là, incontournable. L’écriture donne à voir comment l’on s’essaye à édifier des barrages et comment ils cèdent… toujours. Ainsi, depuis le combat initial pour la vérité et la justice, s’écroulent bon nombre de mirages : colonial, politique avec au bout celui d’une raison éclairée.

Duras traduit le malaise de notre Modernité, dénonçant les inégalités, les emballements meurtriers de la raison conduisant à l’innommable. L’enflure de la misère, les guerres mondiales, l’horreur de la Shoah et les illusions assassinées dans les goulags pénètrent irrémédiablement le tissu amer de l’écriture. Essoufflement de l’espoir « … parce que le mal est là, aux portes, contre la peau » (L’Amant), interdisant toute catharsis.

À travers cette lecture attentive et critique, l’auteur repère aussi les ambiguïtés et les contradictions de Duras, la trouble scission entre patronyme et pseudonyme, les diverses prises de positions de l’écrivain, jusqu’à son apolitisme final.
Contradictions qui sont sans doute le lot d’une pensée qui ne se retranche pas dans un intellectualisme froid, qui conserve ses hésitations, ses veines et ses viscères, mais aussi d’une conscience lucide et désemparée, étranglée par les débâcles du Temps.

Écriture des corps morts, qui a su nous rappeler notre solitude et notre inanité, mais aussi peut-être autoriser une vigueur nouvelle de l’esprit. Car si l’auteur va ainsi au fond de l’écœurement durassien c’est pour, au bout de cette nuit, retrouver une stimulation. Pour convoquer à nouveau la raison qui se doit, pour agir de manière contrôlée et efficace, de ne pas oublier son inquiétude fondamentale. L’encre douloureuse de Duras en demeure un témoin privilégié.  

Marguerite Duras et l’histoire
Stéphane PATRICE
Éditions PUF, coll. « Questions actuelles »
2003
177 pages

Parutions
  • Livre et Lire, mensuel du livre en Rhône-Alpes, n°187, octobre 2003.

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